En feuilletant l’album d’une écrivaine canadienne, j’ai trouvé un copeau de cèdre intercalé dans ses pages. Plus tard, j’ai lu ses lettres manuscrites, qui révèlent que le copeau avait été échangé en signe d’affection entre elle et un ami. Je fais des recherches sur cette écrivaine depuis quelques années, et ses archives ont servi à appuyer trois de mes livres – un vrai cadeau, quand je sais que les archives de femmes sont souvent rares, voire si elles existent seulement.
“Mais comment faire de la recherche et écrire sur mon sujet en l’absence d’archives?” C’est une question qu’on me pose souvent en raison du manque fréquent de matériel sur la vie des femmes. La réponse est complexe.
Peut-être qu’il y a des archives – mais aucune dans un lieu officiel, sanctionné par l’État, comme une université, un musée, ou une bibliothèque. Il y a du matériel; vous ne l’avez tout simplement pas encore trouvé. Vous devez dépasser les institutions formelles et interroger les membres de la famille toujours vivants quant au sujet en question – parfois, à maintes reprises. Et vous devez consulter les documents dans des endroits isolés, voire même quelquefois éloignés. Ceci implique parfois devoir emprunter un camion – ou monter à bord du véhicule d’un inconnu – et garder un couteau de poche pas trop loin avec votre ordinateur portable, juste pour vous assurer que tout ira bien.
II.
Mais comment faire de la recherche et écrire sur mon sujet en l’absence d’archives? Parfois, si vous n’avez pas accès aux archives, vous devez savoir comment demander l’accès. Vous devez être là, au bon moment et au bon endroit et la bonne journée, et demander à la bonne personne. (Sûrement, pas à ce gars-là? Ouais, à ce gars-là.) Parfois, cela signifie boire une Guinness pour le petit déjeuner parce que c’est ce qui vous a été offert, et vous ne voulez pas être impoli, et vous n’êtes jamais du genre à reculer devant un défi. Peut-être que ce moment signifie devoir attendre jusqu’à ce que vous soyez un peu ivre, même après avoir mangé toute l’omelette pour faire bonne mesure. … Mais à ce moment-là, il faut en profiter pour immédiatement demander l’autorisation d’accéder aux fichiers. Qui sait si vous avez mal prononcé vos mots lorsque vous l’avez demandé? Ce n’est enregistré nulle part. Parfois, c’est ce qu’il faut faire pour développer la confiance en vous-même, et pas seulement votre confiance pour demander l’autorisation, mais aussi pour vous assurer que votre interlocuteur ait confiance en vous: il doit savoir qu’il ne se trompe pas en vous accordant l’autorisation. Cette fois-ci, le fait de boire toute une Guinness à 9 heures du matin, croyez-moi, vous qualifie.
III.
Mais comment faire de la recherche et écrire sur mon sujet en l’absence d’archives? À d’autres moments, les archives sont cachées dans un sous-sol, en attendant la lumière du jour – ou peut-être que, vous vous dites avec optimisme, qu’elles vous attendent. Et pour y accéder, il faut gagner la confiance de quelqu’un d’autre, mais pas en buvant de la bière cette fois-ci. Non, cette fois, il faut prendre toutes sortes de précautions: lire des documents, préparer des documents, écrire des documents, réécrire ces documents, et les réécrire à nouveau. Il faut signer des contrats et essayer de faire toutes sortes de gymnastique intellectuelle pour être sûr d’être en pleine forme pour gérer la circonstance correctement. Oh, il vous arrivera de vous tromper–ou bien votre éditeur de copie. Mais cela n’a pas d’importance. Il semble que vous soyez condamné à ne pas réussir. Quand vous travaillez avec une archive dont personne ne connaissait l’existence, un faux pas peut se produire malgré tous vos efforts.
IV.
Mais comment faire de la recherche et écrire sur mon sujet en l’absence d’archives? Peut-être que l’archive n’est pas une chose tangible, comme un document ou une photographie. Ma chère collègue et amie, TL Cowan, fait des recherches sur les cabarets. Les cabarets sont évasifs, mais les souvenirs d’une personne au sujet d’une nuit en particulier peuvent vous aider à la reconstituer; les souvenirs de la scène vous disent quelque chose. De nombreux témoins, par exemple, ont raconté comment une poétesse de Kahnawake, au tournant du siècle, portait une «robe indienne» stéréotypée – un petit numéro en peau de daim – devant un public d’hommes blancs. Vous pourriez vous-même être perplexe, jusqu’à ce que vous lisiez ses paroles incendiaires. Ensuite, vous vous rendez compte qu’elle racontait des conneries sans équivoque à ces hommes dû à leurs attitudes de supériorité et la violence qu’ils faisaient subir aux nations autochtones.
V.
Mais comment faire de la recherche et écrire sur mon sujet en l’absence d’archives? Pensez aux dépôts d’archives qui ne semblent pas avoir de rapport avec votre sujet, du moins pas au début. Les dossiers de la Gendarmerie Royale du Canada en sont un bon exemple. Peut-être que la GRC ne vous intéresse pas. Ce n’est peut-être pas exactement votre tasse de thé militaire. (Personnellement, je préfère l’espresso, s’il est possible de s’en procurer.) Mais parfois, vous voudrez peut-être boire ce thé à cause de ce que vous pourriez apprendre. La GRC a espionné des militantes dans les années 1970. Elle a des filières sur des associations et des réunions féministes. Ce n’est pas nécessaire d’aimer les tactiques de la GRC, mais la lecture de leurs dossiers éclairera beaucoup votre lanterne sur ces militantes. Et, plus tard, vous pourrez toujours boire votre expresso.
VI.
Mais comment faire de la recherche et écrire sur mon sujet en l’absence d’archives? Avez-vous procédé à faire différentes recherches sur l’Internet? Ah, le monde numérique, cet endroit mystérieux qui me rappelle constamment l’océan, qui donne une richesse de matériel un jour, et qui est une surface apparemment lisse et impénétrable le lendemain. Qu’est-ce qui se cache en dessous de cette surface? Si vous offrez un appât appétissant? Parfois, l’hameçon repose dans le fond et rien ne mord – peut-être juste une vieille chaussure, des emballages de friandises, et des algues. Vous supposez qu’il est possible de fabriquer quelque chose au sujet de la chaussure usée. Ensuite, à d’autres moments, vous trouvez une baleine — et vous ne savez pas comment pêcher les baleines. Se lier d’amitié avec elle, peut-être? Oui, c’est mieux, et ne lui tournez surtout pas le dos pendant qu’elle s’amuse dans le port. Comment cette baleine était-elle arrivée là? Vous téléchargez tout ce que vous trouvez ce jour-là, car le lendemain, il est possible qu’elle retourne au large et que rien ne puisse lui faire refaire surface.
Maintenant, vous avez épuisé tous vos moyens. Qu’est-ce qu’il reste? Vous avez peut-être trouvé du matériel sans aucun rapport avec votre sujet actuel (ça arrive). Un timbre de poste, par exemple, qui proclame «God Bless America» ou «Help Retarded Children». Vous vous demandez: est-ce que quelqu’un a déjà écrit quelque chose en rapport avec ces slogans postaux? Votre imagination commence à déborder.
Rassemblez ces documents. Délectez-vous de la richesse de tout ce qui reste.
Laissez votre propre trace, pour créer en effet une nouvelle archive – un cadeau pour une autre génération de chercheurs. Enfin, puisez dans votre imagination. Ceci s’avère une richesse unique et mystérieuse. N’oubliez jamais au grand jamais de consulter ces archives.