Pour la deuxième fois, en 1992, Oscar Wilde fut emprisonné. Je comprends bien votre réaction, si vous connaissez les détails de sa vie: il mourut le 30 Novembre—en 1900, à Paris, à l’âge de quarante-six ans. Alors, c’est une impossibilité, n’est-ce pas?
Avant d’aller plus loin, il faut (en dire un peu plus sur) Wilde, un de mes écrivains préférés (et, parmi les vingt que j’adore, il est un de mes préférés). Né en Irlande de parents intellectuels, Wilde déménagea à Londres pour ses études à l’université d’Oxford. Il commença à attirer l’attention de façon positive, au moment où il s’impliqua dans un mouvement de philosophie qui avait à sa tête Walter Pater et John Ruskin. Cela s’appelait l’esthétisme.
Mais ce n’est pas la raison pour laquelle il est célèbre aujourd’hui. De nos jours, il est reconnu pour son esprit et ses paroles, pour sa tenue vestimentaire, la manière dont il s’habillait, pour son seul roman, The Picture of Dorian Gray (1890), et pour son travail comme dramaturge. Par rapport au dernier point, il écrivit plusieurs pièces de théâtre, incluant son chef-d’œuvre, The Importance of Being Earnest.
Il écrivit ou exprima des idées qui sont encore courantes aujourd’hui. Un jour, il dit: « Je ne suis pas assez jeune pour tout savoir.» Une autre fois : « La mode est une forme de laideur si intolérable, qu’il faut la changer tous les six mois. » Une autre fois, il dit ceci: « Les disputes doivent être évitées; elles sont toujours vulgaires et souvent convaincantes. » Et le plus important pour ce dont je voudrais discuter : « La morale, comme l’art, signifie tracer une ligne quelque part. »
Évidemment, il contesta la ligne de moralité parce que, vers la fin de sa vie, il se retrouva emprisonné pour grossière indécence—il va sans dire, pour quelque chose qui était lié à sa vie en tant qu’homosexuel dans une société qui ne pouvait tolérer autre chose que l’hétérosexualité. Il endura deux années de travaux forcés; au cours de cette période, il écrivit De Profundis, une lettre sombre qui servait de contrepoids pour la première partie de sa vie d’écrivain, avec toute sa joie de vivre et son esprit. Ça veut dire qu’il traça aussi une nouvelle ligne quelque part après qu’il ait souffert en prison. Il mourut juste deux courtes années plus tard, à Paris.
Alors, quelle surprise quand je visitai le cimetière Père Lachaise (en 2012), où je trouvai un monument érigé à la mémoire de Wilde. Ma surprise ne fut pas due au fait de voir un monument si grand et si beau, à la manière de l’art nouveau, ou même de trouver un monument pour lui là-bas. Non, ce qui m’étonna fut de constater que le monument était ceinturé d’un plexiglass, tel que l’on voit d’habitude dans les banques pour protéger l’argent ou les voitures des vedettes de cinéma, pour fins d’exemple. En plus de ça, il y avait des fleurs partout, laissées au pied du monument pour lui rendre hommage, des traces de rouge à lèvres, et des messages griffonnés un peu partout exprimant leur adoration pour cet écrivain impressionnant. En d’autres mots, le monument de Wilde a besoin d’être protégé parce qu’il représente quelque chose de valeur (à la Foucault)—il est devenu une icône. Un jour, on l’emprisonna parce qu’en donnant suite à ses désirs, il contrevenait à la loi. En revanche, maintenant, le culte qu’on lui voue témoigne d’une ouverture dans les paramètres de la loi, et indique que la morale a changé de trajectoire … de ligne. Le changement s’applique sûrement à Wilde et tout ce qu’il représente; s’il est encore emprisonné derrière un plexiglass—c’est qu’il est devenu une idole au sein de la société et non pas en dehors de celle-ci, qui a changé ses codes de moralité. Et je suis à l’aise avec ces changements, le fait que Wilde soit si célèbre et que les codes moraux aient changé.
Un dernier mot sur le sujet. Sur son lit de mort, alors qu’il regardait le papier peint, ce dernier l’ayant inspiré, il prononça cette dernière parole : « Ou bien le papier peint s’en va, ou bien je m’en vais. » Évidemment et heureusement, tel que son monument l’indique, bien que Wilde soit parti … il ne s’en est jamais allé.