Il y a deux ans, Montréal a été l’hôte du festival Blue Met—un événement qui se déroule en avril chaque année dans la ville. Lors de chaque festival, un écrivain célèbre est invité et on lui remet le prix prestigieux du Blue Met International Literary Grand Prix. Quels sont les critères pour les écrivains en lice pour le prix? Il faut que l’écrivain parle le français et l’anglais. Il faut que l’oeuvre de cette personne ait été traduite en français et en anglais (et peut-être en d’autres langues également). Il faut qu’il y ait un lectorat à Montréal. Finalement, l’écrivain doit être présent à l’événement pour recevoir le prix. Il va sans dire que l’écrivain doit être bien connu pour ses réalisations.
A mon plus grand plaisir, sinon à ma plus grande surprise, le distingué prix a été remis à Joyce Carol Oates, l’écrivaine américaine qui a publié plus de cinquante—cinquante!—romans. Elle est l’écrivaine qui a gagné le National Book Award, et qui a été nominée pour le prix Pulitzer. Elle doit avoir une équipe de lutins qui l’aide avec ses romans ou bien, elle est une extra-terrestre. En d’autres mots, elle est une grande écrivaine.
Elle a été invitée à Montréal dans le cadre du festival pour recevoir le prix, et c’est alors qu’elle a été interviewée par Shelagh Rogers de CBC. Rogers n’a pratiquement rien eu à faire—Mme Oates a parlé de façon très ouverte de son travail, son éducation, de sa vie dans sa petite ville natale. Elle a mentionné le fait qu’elle devait nourrir les poules et les coqs à la ferme, mais que seuls les coqs ne démontraient aucune reconnaissance : ils lui picotaient les genoux. Elle a d’emblée ajouté que c’est une image que l’on peut facilement associer aux mâles humains.
A la fin de la soirée, les gens ont été invités à poser des questions à Mme Oates. Les questions que l’on pose habituellement aux écrivains ont trait à leur façon de travailler ou comment ils s’y prennent pour devenir célèbres. Mais, cela ne s’est pas produit comme ça ce soir-là. Une jeune femme s’est approchée du microphone pour demander à Mme Oates si elle pouvait donner son avis au sujet de la grève des étudiants à Montréal ou, si elle était disposée à offrir quelques mots d’appui au mouvement du Printemps Arabe (2012). Au moment où elle a posé la question, la foule s’est mise à huer assez fort, mais Mme Oates a gardé son sang-froid. Elle a répondu avec grâce et dignité et a expliqué qu’elle n’était pas assez au fait de la situation au Québec pour bien répondre et qu’en plus, son mari et elle avaient déjà promis de participer à un événement politique chez eux, aux Etats-Unis.
Je ne m’attendais pas à ce que Mme Oates connaisse le sujet assez bien pour répondre, mais j’ai trouvé la question que l’étudiante avait posée intéressante. En entendant sa question, je me suis passé la réflexion qu’elle estimait que l’écrivain en général a la responsabilité de se tenir au fait de la situation politique, en particulier de l’endroit où il est en train de recevoir un prix. C’est une idée avec laquelle, en général, je suis d’accord—à savoir qu’un écrivain, à tout le moins, doit être au courant de la situation politique chez lui.
Mais, le fait qu’une femme ait publié cinquante romans (et plus), il faudrait peut-être lui accorder un peu de cette même grâce et dignité car, ses cinquante romans la gardent probablement très occupée. Il est plus que probable qu’elle ait manqué de temps pour se pencher sur le sort des étudiants à Montréal. Ou encore, il y a peut-être des étudiants pour qui, comme les coqs, cinquante romans … ce n’est pas assez.